Rose Goslinga: L’assurance-récolte, une idée qui vaut la peine d’être ensemencée
Dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, les petits agriculteurs sont le fondement des économies nationales et régionales, à moins que le temps ne se révèle imprévisible et que leurs récoltes ne soient mauvaises. La solution est l’assurance, à une vaste échelle continentale, et à un coût très bas et abordable. Rose Goslinga et la Fondation Syngenta pour l’agriculture durable ont mis au point une méthode non conventionnelle pour donner aux agriculteurs dont les récoltes échouent tôt une seconde chance à une saison de croissance.
Sur Rose Goslinga
Rose Goslinga n’est pas votre vendeur d’assurance typique. Grâce à la Fondation Syngenta, son équipe a développé des solutions d’assurance pour aider les petits agriculteurs en Afrique, à protéger leurs cultures en cas de sécheresse.
Transcription vidéo
Je viens d’une famille de missionnaires qui ont construit des hôpitaux en Indonésie, et mon père a construit un hôpital psychiatrique en Tanzanie. Me voici, à 5 ans, devant l’hôpital. Je ne pense pas que ma famille se doute que je finisse dans les assurances. (Rires)Laissez-moi vous raconter comment j’en suis arrivée là.
En 2008, je travaillais au Rwanda, pour le ministère de l’agriculture, ma supérieure venait juste d’être promue ministre. Elle a lancé un programme ambitieux de révolution verte dans le pays, avant qu’on ait eu le temps de se retourner, nous importions des tonnes de graines, de fertilisants, et disions aux fermiers comment les utiliser. Deux semaines après, ma ministre a reçu la visite du Fonds Monétaire International qui lui a dit : « C’est formidable d’aider les fermiers mais que se passera-t’il s’il ne pleut pas ? » Ma ministre a répondu fièrement et presque sur un ton de défiance : « Je prierai pour qu’il pleuve. » Cela a coupé court à la discussion. En revenant au ministère, elle s’est retournée vers moi dans la voiture, et m’a dit : « Rose, toi qui t’es toujours intéressée à la finance, essaie de nous trouver des assurances. »
En fait, les assurances traditionnelles ne fonctionnent pas avec 2 ou 3 euros, parce qu’elles s’appuient sur la visite des fermes. Ici en Allemagne, un fermier serait visité au début, au milieu et à la fin de la saison, une fois encore s’il y avait des pertes pour estimer les dommages. Mais pour un fermier à petite échelle, au beau milieu de l’Afrique faire ces visites n’aurait simplement aucun sens. Alors, à la place, nous nous appuyons sur la technologie et les données. Ce satellite mesure si des nuages étaient présents, parce que, réfléchissez : s’il y a des nuages, il se pourrait bien qu’il pleuve mais s’il n’y en a pas, alors il est réellement impossible qu’il pleuve.Ces images montrent le début de la saison des pluies au Kenya. Vous voyez qu’autour du 6 mars, des nuages arrivent puis s’en vont,et puis, autour du 11 mars, les nuages s’installent pour de bon. Ces nuages ont à nouveau marqué le début de la saison des pluies cette année. Ce satellite couvre toute l’Afrique et peut remonter jusqu’en 1984, et c’est important parce que si l’on connaît le nombre de fois qu’une région a subi la sécheresse sur les 30 dernières années, on peut facilement estimer les probabilités de sécheresse dans le futur, et on peut identifier les endroits à risque.
Mais les données seules sont insuffisantes. Nous avons aussi conçu des algorithmes nous renseignant sur la quantité et la fréquence de pluies nécessaires pour un culture donnée. Par exemple, pour le maïs au moment de la semence, les fermiers ont besoin de deux jours de pluie, il faut qu’il pleuve encore une fois toutes les deux semaines pour que le maïs germe. Ensuite, il doit pleuvoir toutes les trois semaines pour que les feuilles se forment, alors que pendant la floraison, il faut qu’il pleuve plus souvent, environ tous les 10 jours, pour que les épis se forment. A la fin de la saison, il ne faut plus qu’il pleuve, car les pluies peuvent alors endommager les récoltes.
Cela est déjà compliqué de mettre au point une telle couverture mais cela a été bien plus compliqué de vendre ces assurances. Après notre première saison, nous avions le modeste objectif d’assurer 500 fermiers. Au bout de deux mois de démarchage intense, nous avions enregistré au total 185 fermiers. J’étais déçue et déconcertée. Tout le monde me disait que les fermiers voulaient être assurés, mais… les principaux intéressés n’achetaient pas. Ils attendaient de voir ce qui allait se passer, ne faisaient pas confiance aux compagnies d’assurance, ou pensaient : « Je me suis débrouillé seul pendant tant d’années, pourquoi aurais-je besoin d’une assurance ? »
Beaucoup d’entre vous connaissent sans doute le microcrédit, qui permet aux plus pauvres d’emprunter, mis en place par Muhammad Yunus, qui a reçu le prix Nobel pour son travail avec la Banque Grameen. Mais il s’avère que vendre des micro-crédits,n’est pas la même chose que de vendre des assurances. Pour le crédit, le fermier doit gagner la confiance de la banque, et s’il réussit, la banque lui prête de l’argent. C’est un marché intéressant. En ce qui concerne les assurances, le fermier doit d’abord faire confiance à la compagnie d’assurance et doit avancer de l’argent, à celle-ci. Ce qui est complètement différent. C’est pourquoi l’engouement pour s’assurer a été lent, avec à ce jour seulement 4,4% d’Africains couverts en 2012, et la moitié d’entre eux se concentrent en Afrique du Sud.
Pendant des années, nous avons essayé de vendre les assurances directement aux fermiers, moyennant des coûts exorbitants pour un résultat médiocre. Nous avons réalisé que les fermiers travaillaient avec de nombreuses organisations : les entreprises de semences, les organismes de microfinance, les compagnies de téléphonie mobile, les agences gouvernementales. Toutes faisaient des prêts aux fermiers, et souvent, juste avant de signer le contrat, le fermier demandait : « Que se passerat-il s’il ne pleut pas ?Comment ferai-je pour rembourser le prêt ? » La plupart de ces organisations prenaient le risque à leurs dépens espérant simplement que cette année-là, le pire ne se produirait pas. Cependant, la plupart d ‘entre elles limitaient leurs investissements, ils ne pouvaient pas prendre ce genre de risque. Ces organisations sont devenues nos clients, et en associant le crédit et l’assurance, cela devient très intéressant. Laissez-moi vous raconter encore une histoire.
Dans l’ouest du Kenya, au début de l’année 2012, les pluies ont commencé à tomber très tôt, ce qui a encouragé les fermiers, parce que les pluies précoces annoncent une bonne année. Alors ils ont emprunté et semé. Pendant 3 semaines, il n’y a pas eu une seule goutte de pluie, les semences qui avaient si bien germé, se sont inclinées et ont séché. Nous avions assuré les prêts accordés pour 6000 fermiers de la région. On leur a dit qu’on savait pour la sécheresse et qu’ils recevraient 200 000 euros à la fin de cette saison. Ils nous ont dit : « C’est super, mais ce sera trop tard. Pourriez-vous nous donner de l’argent maintenant ? » Comme ça, ils pourraient replanter et avoir une récolte, dès cette saison. Alors nous avons convaincu nos partenaires de la société d’assurance et les fermiers ont pu replanter. Nous avons exposé cette idée à une société de semence et les avons convaincus d’inclure le prix de l’assurancedans celui des sacs de semences, et dans chaque sac, nous avons placé une carte avec un numéro. Quand les fermiers le trouvaient ils devaient nous envoyer un texto, ce qui nous aidait à localiser le fermier grâce au satellite. Le satellite mesurait alors les prévisions de pluie pour les 3 semaines à venir, et s’il ne pleuvait pas, nous remplacions les semences. L’un des premiers – (applaudissements) – attendez ! je n’ai pas encore fini !
Nous lui avons rendu visite au mois d’août de cette même année et vous auriez dû voir son sourire, quand il nous a montré la récoltequi nous chauffait le cœur et qui m’a fait comprendre que vendre des assurances pouvait être une bonne chose. Puis, il a insisté pour que toute la récolte rentre dans la photo, on a dû prendre du champ. Les assurances lui ont permis d’assurer la récolte, et je crois qu’aujourd’hui, nous avons les outils nécessaires pour que les fermiers d’Afrique aient le contrôle sur leur destinée. Plus d’année du « gobelet ». A la place, je voudrais qu’on parle d’une année de l’assurance, ou de l’année de la grande récolte.